vendredi 25 janvier 2013

El País et la fausse photo de Chávez

Le célèbre quotidien espagnol vient de commettre la plus grosse bourde de son histoire en publiant une photo de Hugo Chávez qui n'en était pas une

Comment un média "sérieux" a-t-il pu commettre une telle bourde ? Comment des professionnels de la profession - en général si prompts à dénigrer les blogueurs et autres "journalistes amateurs" - ont-ils pu publier une photo sans même en connaître la source ni vérifier la véracité de l'information ?
La course au scoop a encore frappé et fait des ravages. El País annonçait ce 24 janvier sur son compte Twitter qu'il publiait "une image inédite et exclusive qui montre un moment du traitement médical de Hugo Chávez à Cuba".


Sur la photo en question, on peut voir un homme intubé, sur une table d'opération. À la vue de cette image, une première question vient à l'esprit : un journal, d'autant plus un grand quotidien d'information, peut-il diffuser une telle image ? N'y a-t-il pas une atteinte à la dignité de la personne, qu'il s'agisse de Chávez ou de qui que ce soit ? Une telle image apporte-t-elle une quelconque information digne d'intérêt pour les lecteurs ? Mais lorsqu'on lit le court article qui accompagne cette photo, d'autres questions se posent.
"El País n'a pas pu vérifier les circonstances dans lesquelles la photo a été prise, ni le moment précis, ni le lieu."
El País n'est-il pas en train de se contredire ? S'il n'a pu vérifier ni "les circonstances dans lesquelles la photo a été prise, ni le moment précis, ni le lieu", comment peut-il affirmer que la photo a bien été prise à Cuba par exemple ? Ou encore qu'elle l'a été il y a quelques jours ? Elle pourrait très bien avoir été prise il y a de cela plusieurs semaines, voire plusieurs mois, au cours d'une précédente hospitalisation.
El País explique ensuite :
"Les particularités politiques de Cuba et les restrictions de l'information qu'impose le régime ne l'ont pas permis."
S'il est évident que le régime castriste verrouille l'information et ne rend pas la tâche facile aux journalistes, El País ne cherche-t-il pas par cette phrase à se dédouaner d'éventuelles protestations ? Cette formulation revient finalement à dire que si le journal n'a pas appliqué les règles de base de la profession (rechercher les sources, vérifier l'information avant de la publier), ce n'est pas de sa faute mais de celle du régime cubain ! Comme l'écrit très justement Iñigo Sáenz de Ugarte sur son blog, "Si on ne peut pas vérifier la véracité d'une information, on ne doit pas la publier. C'est aussi simple que ça".

Vient ensuite une autre question, la plus importante : l'homme de la photo est-il bien Hugo Chávez ? Et c'est là que les internautes (journalistes ou pas) vont faire le travail d'El País à sa place. La photo n'en est pas une. Il s'agit en réalité d'une image extraite d'une vidéo postée sur YouTube en 2008.

Panique à El País qui supprime son tweet, l'article avec la photo et publie un communiqué sur son site Internet.
"La photo est restée sur le site Internet du journal environ une demi-heure."
Cela signifie donc que, là où le journal n'a pas été capable de vérifier la véracité de l'information, il a fallu moins d'une demi-heure à d'autres pour le faire.

Quelques heures avant cette affaire, Pedro J. Ramírez, directeur d'El Mundo, publiait ce tweet :
"Hier on a voulu nous vendre une photo de Chávez intubé. Nous avons dit non. Quand vous la verrez dans un autre média, vous nous direz si nous avons eu raison."

Dans la journée, suite aux nombreuses questions qui lui étaient posées, il expliquait les raisons qui avaient conduit son journal à refuser d'acheter la photo. L'agence leur aurait demandé 30 000 €. Il demande alors à Iñaki Gil, le directeur adjoint, d'essayer d'en savoir un peu plus. Renseignements pris, elle aurait été prise il y a une semaine environ "mais ils ne donnent pas de détails. Quant au prix, ils disent que nous pourrions partager avec Paris-Match". Finalement, la direction du journal décide de ne pas acheter la photo, entre autres raisons parce qu'il n'y a aucune preuve de son authenticité et parce que "Chávez aussi a sa dignité".

Mais le plus drôle reste à venir : la photo devait être publiée en une de l'édition du 24 janvier, accompagnée du titre "Le secret de la maladie de Chávez". Après ce fiasco, El País s'est vu obligé de suspendre la distribution du journal en kiosques et de réaliser une nouvelle édition. Si, avec ce scoop qui n'en est pas un, le quotidien pensait faire une bonne affaire, c'est bien le contraire qui se passe, en termes financiers mais surtout de crédibilité puisqu'il est aujourd'hui la risée de nombreux Espagnols et d'une bonne partie de la profession.



mercredi 23 janvier 2013

Décès du photojournaliste Enrique Meneses

De la guerre de Suez à la révolution cubaine, de l'Afrique à  la marche pour les droits civiques à Washington, de l’Inde à Sarajevo, le journaliste et photographe espagnol Enrique Meneses a parcouru le monde. Travailleur passionné et infatigable, celui que nombre de jeunes journalistes saluent comme un modèle et un maître est décédé le 6 janvier 2013 à l'âge de 83 ans.


« Je suis né dans une rédaction »
Enrique Meneses est né à Madrid en 1929. Son père, également journaliste, crée plusieurs journaux en Espagne. En 1936, la famille émigre en France où le père fonde une agence de presse. C'est donc dès son plus jeune âge qu'il baigne dans la profession. Une passion qui ne le quittera plus. « Je n'ai pas arrêté d'écrire un seul jour depuis que j'ai 15 ans », déclare-t-il dans une interview à El País en 2011. En 1945 la famille rentre en Espagne après un passage par le Portugal.


En 1947, alors qu'il n'a que 17 ans, Enrique Meneses réalise son premier reportage sur la mort du célèbre torero Manolete puis suit des études de journalisme avant d'obtenir son diplôme en 1952. Ce qui ne l'empêchera pas de déclarer bien des années plus tard que la seule université valable « est celle de la rue ». Car Meneses est un homme de terrain, de rencontres, un amoureux de la vie et des autres, pour qui le métier de journaliste se compose à « 70 % de patience, 20 % de professionnalisme et 10 % de chance ».

« De l'encre dans les veines... avec un peu de whisky »
C'est presque par hasard qu'Enrique Meneses se lance dans le photoreportage. Nous sommes dans les années cinquante et il collabore à différents journaux. Mais « les médias hispanophones paient tellement mal » qu'il décide de continuer à exercer son métier en se servant d'un appareil photo, car « la photographie n'a pas besoin de traduction ». Cela lui permet de vendre son travail dans le monde entier, notamment grâce aux agents qui le représentent en Espagne, en France, en Grande Bretagne, aux États-Unis... Mais il n'arrête pas d'écrire pour autant. En plus de son appareil, il a toujours avec lui des carnets dans lesquels il note tout et un magnétophone pour les interviews.
En 1954, il se lance dans un périple de plusieurs mois qui le mène à travers l'Afrique, du Caire au Cap. Puis, en octobre 1956, il est le seul journaliste occidental à couvrir la guerre de Suez du côté égyptien.
L'année suivante, il est encore le premier à couvrir la révolution cubaine. Il passe plusieurs mois dans la Sierra Maestra aux côtés des guérilleros et ses photos, que Paris Match publie dans trois numéros consécutifs, vont faire le tour du monde. Des photos qui auraient bien pu ne jamais voir le jour. Meneses monte un petit laboratoire clandestin pour développer ses films. Puis il coud les négatifs et une cinquantaine de feuillets dans les jupons d'une jeune cubaine, Pilar Ferrer. « Je n'avais laissé de la place qu'au niveau des fesses pour qu'elle puisse s'asseoir dans l'avion. » La publication de ces photos lui vaudra d'être expulsé de l'île mais fera connaître au monde entier la lutte que mènent les barbudos contre le dictateur Batista. « Avant que Meneses ne publie ses reportages, personne au monde ne savait qu'il y avait une révolution à Cuba », écrira Ernesto Che Guevara dans ses mémoires.


Des années soixante aux années quatre-vingt dix, il crée ou dirige des agences de presse (Delta Press, Fotopress, Videopress), des revues (Les éditions espagnoles de Lui et de Playboy, Los aventureros), des émissions de télévision et de radio (« A toda plana », « Los reporteros », « Robinson en África »), pratique la photographie de nu... Enrique Meneses ne s'arrête jamais. C'est un passionné, un touche-à-tout qui se renouvelle sans cesse, un aventurier. En 1993, il se trouve à Sarajevo pendant le siège de la ville. Pour s'y rendre, il a menti à sa famille et prétexté qu'il partait faire un safari au Kenya.

« De la génération Magnum à la génération 2.0 »
« C'était mieux avant », très peu pour lui. Enrique Meneses a toujours su s'adapter aux nouvelles formes de journalisme et aux nouvelles technologies. « L'avenir, ce sont les blogueurs », déclare-t-il dansune interview accordée au magazine Jot Down en 2012. Rien d'étonnant, donc, à ce que nombre de journalistes ayant l'âge d'être ses petits enfants le considèrent comme un maître et lui rendent hommage.


Sur Twitter, Juan Luis Sánchez, cofondateur de eldiario.es, écrit : « Un blog, Twitter, podcast, ses meilleures photos sur Flickr, une télévision sur Internet. 82 ans ».
Dans l'hommage qu'elle lui rend sur son blog, Lola Hierro s'adresse à lui dans ces termes : « À 83 ans, tu étais le plus jeune de mes amis ».
Enrique Meneses n'aimait guère que des confrères des générations suivantes le considèrent comme un « maître ». C'est pourtant ce qu'il restera pour nombre d'entre eux. Un modèle. Non seulement sur le plan professionnel mais aussi d'humanité, d'audace et de simplicité. Il laisse derrière lui plus de 15 000 négatifs, des centaines d'heures de reportages, et plusieurs livres dont ses mémoires, Hasta aquí hemos llegado.



CIEN MIRADAS de Enrique Meneses from Rosa Jiménez Cano on Vimeo.

mercredi 2 janvier 2013

Bonne année, bon marronnier !

Le Nouvel Observateur commence l'année en beauté, avec le marronnier des marronniers : les francs-maçons.