Le célèbre quotidien espagnol vient de commettre la plus grosse bourde de son histoire en publiant une photo de Hugo Chávez qui n'en était pas une
Comment un média "sérieux" a-t-il pu commettre une telle bourde ? Comment
des professionnels de la profession - en général si prompts à dénigrer les
blogueurs et autres "journalistes amateurs" - ont-ils pu publier une photo
sans même en connaître la source ni vérifier la véracité de l'information ?
La course au scoop a encore frappé et fait des ravages. El País
annonçait ce 24 janvier sur son compte Twitter qu'il publiait "une image
inédite et exclusive qui montre un moment du traitement médical de Hugo Chávez
à Cuba".
Sur la photo en question, on peut voir un homme intubé, sur une table
d'opération. À la vue de cette image, une première question vient à l'esprit :
un journal, d'autant plus un grand quotidien d'information, peut-il diffuser
une telle image ? N'y a-t-il pas une atteinte à la dignité de la personne,
qu'il s'agisse de Chávez ou de qui que ce soit ? Une telle image apporte-t-elle
une quelconque information digne d'intérêt pour les lecteurs ? Mais lorsqu'on
lit le court article qui accompagne cette photo, d'autres questions se posent.
"El País n'a pas pu vérifier les circonstances dans lesquelles la photo a été prise, ni le moment précis, ni le lieu."
El País n'est-il pas en train de se contredire ? S'il n'a pu vérifier
ni "les circonstances dans lesquelles la photo a été prise, ni le moment
précis, ni le lieu", comment peut-il affirmer que la photo a bien été
prise à Cuba par exemple ? Ou encore qu'elle l'a été il y a quelques jours ?
Elle pourrait très bien avoir été prise il y a de cela plusieurs semaines,
voire plusieurs mois, au cours d'une précédente hospitalisation.
El País explique ensuite :
"Les particularités politiques de Cuba et les restrictions de l'information qu'impose le régime ne l'ont pas permis."
S'il est évident que le régime castriste verrouille l'information et ne rend
pas la tâche facile aux journalistes, El País ne cherche-t-il pas par
cette phrase à se dédouaner d'éventuelles protestations ? Cette formulation
revient finalement à dire que si le journal n'a pas appliqué les règles de base
de la profession (rechercher les sources, vérifier l'information avant de la
publier), ce n'est pas de sa faute mais de celle du régime cubain ! Comme l'écrit très justement Iñigo Sáenz de Ugarte sur son blog, "Si on ne peut pas vérifier la véracité d'une information, on ne doit pas
la publier. C'est aussi simple que ça".
Vient ensuite une autre question, la plus importante : l'homme de la photo
est-il bien Hugo Chávez ? Et c'est là que les internautes (journalistes ou pas)
vont faire le travail d'El País à sa place. La photo n'en est pas une.
Il s'agit en réalité d'une image extraite d'une vidéo postée sur YouTube en 2008.
Panique à El País qui supprime son tweet, l'article avec la photo et publie un communiqué sur son site Internet.
"La photo est restée sur le site Internet du journal environ une demi-heure."
Cela signifie donc que, là où le journal n'a pas été capable de vérifier la
véracité de l'information, il a fallu moins d'une demi-heure à d'autres pour le
faire.
Quelques heures avant cette affaire, Pedro J. Ramírez, directeur d'El
Mundo, publiait ce tweet :
Ah, por cierto, ayer nos quisieron vender una foto de Chavez entubado. Dijimos no. Cuando la veaís en otro medio ya diréis si acertamos."Hier on a voulu nous vendre une photo de Chávez intubé. Nous avons dit non. Quand vous la verrez dans un autre média, vous nous direz si nous avons eu raison."
— Pedro J. Ramirez (@pedroj_ramirez) 23 janvier 2013
Dans la journée, suite aux nombreuses questions qui lui étaient posées, il
expliquait les raisons qui avaient conduit son journal à refuser d'acheter la
photo. L'agence leur aurait demandé 30 000 €. Il demande alors à Iñaki Gil, le
directeur adjoint, d'essayer d'en savoir un peu plus. Renseignements pris, elle
aurait été prise il y a une semaine environ "mais ils ne donnent pas de
détails. Quant au prix, ils disent que nous pourrions partager avec Paris-Match". Finalement, la direction du journal décide de ne pas acheter la photo,
entre autres raisons parce qu'il n'y a aucune preuve de son authenticité et parce que "Chávez aussi a sa dignité".
Mais le plus drôle reste à venir : la photo devait être publiée en une de
l'édition du 24 janvier, accompagnée du titre "Le secret de la maladie de
Chávez". Après ce fiasco, El País s'est vu obligé de suspendre la distribution
du journal en kiosques et de réaliser une nouvelle édition. Si, avec ce scoop
qui n'en est pas un, le quotidien pensait faire une bonne affaire, c'est bien
le contraire qui se passe, en termes financiers mais surtout de crédibilité
puisqu'il est aujourd'hui la risée de nombreux Espagnols et d'une bonne partie
de la profession.